Il
s'agit des réponses apportées aux questions de Sandrine par
le Dr L. Kern lors d'une interview qui s'est déroulée à
son Cabinet
le 13/11/2001.
Sandrine
:"Qu'est-ce qui vous a fait vous tourner vers le comportementalisme?"
Docteur Laurent KERN
:"J'ai toujours été passionné par l'éthologie,
notamment celle des singes. Je me suis dirigé vers le métier
de vétérinaire en voulant m'occuper du comportement des
animaux."
S.
:"Vous êtes peu de vétérinaires comportementalistes
diplômés à exercer en région parisienne. Voyez-vous
des raisons à cela ?"
L.K.
:"Nous sommes environ une trentaine de diplômés en France.
Le diplôme de vétérinaire comportementaliste est tout
récent : sa création date de 1998. C'est un diplôme
qui se prépare en 2 à 4 ans. Par ailleurs, il existe, dans
le cadre des études vétérinaires, beaucoup d'autres
spécialisations : ophtalmologie, cardiologie..."
S. :"Pensez-vous
que, par rapport à la demande des propriétaires d'animaux,
un seul vétérinaire comportementaliste à Paris soit
suffisant ?"
L.K.
:"Non, bien évidemment. De plus en plus de vétérinaires
généralistes se forment en comportement. Pour les cas qu'ils
jugent complexes, certains de mes confrères m'adressent leurs clients."
S.
:"Si vous
considérez votre clientèle, pouvez-vous définir une
sorte de profil-type de la personne qui vient en consultation pour un
problème comportemental de son animal (âge, sexe, milieu
socio-culturel, type d'animal
)?"
L.K.
:"Pour les chiens, les gens consultent avant tout pour une nuisance,
souvent spectaculaire et rendant la demande urgente (vocalises, agressivité,
destruction) alors que les compagnons des chats n'attendent pas forcément
qu'il y ait nuisance : ils sont plus attentifs au bien-être psychologique
de leur animal et vont se poser des questions même en l'absence
de nuisance. Tout récemment, j'ai par exemple reçu des personnes
qui s'inquiétaient de ce que leur chat ne dormait pas bien."
S.
:"Avez-vous plutôt
une clientèle de quartier ou bien de tous horizons, les gens n'hésitant
pas à se déplacer pour obtenir une telle consultation ?"
L.K.
:"Les deux. Les animaux que je suis dès la naissance présentent
plus rarement des problèmes de comportement car je fais de l'information
dès le départ."
S.
:"A quel pourcentage estimeriez-vous la part de vos consultations
motivées par un problème comportemental ?"
L.K.
:"Tous animaux confondus : 20 à 30%. Les chats ne représentent
qu'environ 10% de ces consultations."
S.
:"En ce qui concerne ces consultations, diriez-vous que le trouble
comportemental, chez le chat, trouve ses origines le plus souvent dans
une
pathologie physique (organique, articulaire, neurologique
);
une
carence de la socialisation
primaire;
un choc
émotionnel (déménagement, nouveau venu
);
une
méconnaissance de la part du "maître" des besoins
de son animal ?"
L.K.
:"Chez le chat, il s'agit le plus souvent d'un choc émotionnel.
C'est la cause la plus fréquente de la malpropreté, qui
constitue d'ailleurs le motif le plus fréquent de consultation
comportementale. En revanche, dans un second temps, face à un trouble
avéré, la méconnaissance de la psychologie du chat
va jouer aussi un rôle, en donnant lieu à des réactions
inadaptées de la part du maître, réactions qui vont
renforcer le trouble primaire."
S.
:"En-dehors d'un problème comportemental lié à
une pathologie physique, quel remède adoptez-vous le plus souvent
: conseils au maître / médicaments à l'animal / les
deux ?"
L.K.
:"Je préconise toujours une thérapie comportementale
mais s'il y a urgence ou nécessité, je peux y adjoindre
des médicaments."
S.
:"En ce qui concerne les chats, vous arrive-t-il fréquemment
/ rarement / jamais de conseiller à vos clients de :
jouer
avec leur animal;
modifier
l'environnement de leur animal;
consacrer
plus de temps à leur animal;
lui
consacrer au contraire moins de temps ?"
L.K.
:"Les 3 premiers types de conseils, fréquemment ; le dernier,
jamais !
Le jeu est la première thérapeutique, à condition
que les gens y prennent du plaisir et en comprennent bien l'intérêt.
Certains préfèreraient les psychotropes : cela semble plus
rapide, plus facile
bien que ce ne soit pas toujours si facile que
ça de les administrer ! Mais chez le chat, ils ne remplacent jamais
une thérapie.
Consacrer
moins de temps à son animal ? Non, je n'ai jamais eu à conseiller
cela. En revanche, pour les chiens principalement, je peux conseiller
de faire autrement : c'est une question de qualité, pas de quantité."
S.
:"Selon vous, les chats parisiens présentent-ils certains
troubles du comportement spécifiques (expliquables par l'étroitesse
du logement, la vie hyper-active de leurs "maîtres"
)
?"
L.K.
:"Ils présentent certains problèmes liés non
seulement à Paris mais à la ville, comme, effectivement,
l'anxiété
du milieu clos, qu'on retrouve plus chez les chats ne sortant jamais.
Quant à la vie hyper-active des humains, c'est sûr que cela
peut avoir un retentissement sur le chat, et peut-être, là,
peut-on penser que ça se rencontre davantage à Paris."
S.
:"Pensez-vous que les gens abandonnent leur animal le plus souvent
:
à
cause d'un problème comportemental dont ils n'arrivent pas à
bout;
parce
qu'ils n'avaient aucune idée des responsabilités
pour
une autre raison ?"
L.K.
:"Plutôt pour un problème comportemental et ça
concerne plutôt les chiens. Cela peut être le cas de possesseurs
de chiens ne voulant pas faire la démarche d'une thérapie
comportementale. Une telle thérapie demande en effet de la motivation
et du temps.
Pour les chats, je pense davantage à la seconde raison : une prise
de conscience tardive des responsabilités. Il y a aussi la malpropreté
mais généralement, c'est un problème qu'on arrive
bien à résoudre par une thérapie comportementale."
S.
:"En ce
qui concerne les chats, quels sont les troubles comportementaux pour lesquels
on vous consulte le plus souvent?"
L.K.
: "La plupart des troubles de comportement du chat sont liés
au territoire
(problème de déterritorialisation), et ces troubles se manifestent
le plus souvent par une malpropreté. Les gens consultent donc avant
tout pour un problème de malpropreté.
Ensuite, à égalité, je dirais : pour un problème
d'agressivité, d'alopécie extensive féline (note
de S. : problèmes de pelage, de peau dûs à une toilette
obsessionnelle), de relation avec un congénère, de vocalises
nocturnes, ou encore parce que le chat est hyper-craintif.
En général, les gens ne consultent pas pour un problème
de boulimie ou pour un chat qui refuse les câlins -ils ont tendance
à imputer cela à son espèce ou à son caractère.
Il n' y a pas beaucoup de demande non plus pour un chat qui n'est agressif
qu'avec les personnes extérieures."
S.
:"La réussite de votre traitement, pour un trouble comportemental,
dépend-elle avant tout
de la
symptomatologie comportementale présentée par l'animal;
de son
étiologie;
de la
capacité des maîtres à mettre en application vos conseils
(motivation, aptitude au changement
);
du temps
qui s'est écoulé entre la 1ère consultation et l'apparition
du trouble;
du type
d'animal (espèce, race, sexe) ?"
L.K.
:"Elle dépend des 4 premières propositions, toutes
aussi importantes les unes que les autres, mais beaucoup moins de la dernière
!"
S.
:"En ce qui concerne le chat, vous paraît-il possible de remédier
à une carence
de la
socialisation primaire intraspécifique;
de la
socialisation primaire interspécifique ?"
L.K.
:"C'est très difficile et c'est beaucoup fonction de l'âge
du chat. On peut améliorer
mais il reste évidemment
des séquelles."
S.
:"Pensez-vous que dans certains cas des conseils à domicile
(aménagement de l'espace, idées de jeux, hygiène
)
seraient une aide supplémentaire ? Voire une aide à domicile
(faire jouer le chat pendant que le "maître" travaille)
?"
L.K. :"Jusqu'ici,
je ne connaissais que des éducateurs animaliers chiens.
Cela peut aider dans le cas où le propriétaire du chat ne
parvient pas à suivre les conseils du vétérinaire
comportementaliste, par exemple ne sait pas comment s'y prendre pour jouer
au quotidien avec son chat.
Cela peut aussi être utile, bien sûr, quand les personnes
sont dans l'impossibilité de consacrer suffisamment de temps au
chat.
Mais la première démarche face à un trouble comportemental
reste la consultation vétérinaire : elle permet de diagnostiquer
une cause organique ou /et comportementale, de bien cerner les facteurs
favorisants et déclenchants à l'origine de l'apparition
et de l'installation du trouble, et de définir la thérapeutique
la plus appropriée."
S.
:"Vous déplacez-vous à domicile ?"
L.K. :"Oui,
dans des cas bien précis, comme par exemple pour un chat hyper-anxieux
ou un maître ne pouvant pas se déplacer. Mais cela reste
exceptionnel. La consultation se déroule plus facilement dans un
Cabinet, qui de plus, est équipé."
S.
:"Pourriez-vous
me relater votre plus beau souvenir, dans l'exercice de votre métier
?"
L.K.
:"Je pense en particulier à deux " anecdotes " car
elles me semblent bien illustrer l'action très bénéfique
des chats sur les hommes : une dame devenue très dépressive
suite au décès de son chat et qui n'a retrouvé goût
à la vie qu'avec l'aide de son psychiatre et la " reprise
" d'un chat ; un enfant qui avait de l'eczéma, des problèmes
psychologiques, qui n'arrivait pas à parler
. Du jour où
il a eu un chat, tout est rentré dans l'ordre; il n'a plus eu besoin
de voir les médecins !"
Interview réalisée le 13/11/2001.
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